1949France - 232 U 1

 

Origine :

Le réseau du Nord, réseau où la tradition de la vitesse était bien implantée depuis le début du siècle, songea au début des années trente à augmenter encore ses vitesses commerciales, quitte à dépasser la vitesse réglementaire de 120 km/h et à condition d'obtenir les autorisations ministérielles nécessaires. Ainsi, sur Paris-Creil dès 1934, des travaux de renforcement de voie et modification de la signalisation avaient été entrepris pour porter la vitesse au-delà de 120 kmlh. Le contexte des années trente était, précisément sur les grandes lignes, la recherche de vitesses commerciales de plus en plus importantes quel que soit le mode de traction utilisé. On sait qu'en Grande-Bretagne, le record du monde de vitesse en traction vapeur sera battu par la Pacifie A4 Mallard du LNER en 1938 avec 202 kmlh. Cette machine, équipée d'un échappement Kylchap, avait été étudiée par Nigel Gresley . De leur côté, les Allemands avec les 232 unifiées de la série 05 pratiquaient à partir de 1935 des vitesses commerciales étonnantes entre Berlin et Hambourg avec des pointes approchant 200 km/h.

En conséquence, le Nord confia l'étude des nouvelles machines à grande vitesse à Marc de Caso, ancien ingénieur Nord passé à l'OCEM.
Marc de Caso (1893-1985) est le créateur d'une famille de machines Nord absolument remarquables esthétiquement similaires. Il s'agit des Pacifie série 3.1251 et 3.1290 sorties en 1931, troisième sous-série des super Pacifie Nord mises en service à partir de 1923 et qui constituaient le fonds du parc de machines rapides avant l'arrivée des Pacific Chapelon.

Avec les 3.1200, de Caso mit en service les célèbres 141 tender de banlieue série 4.1200 à distribution par piston-valve Cossart, ainsi que les remarquables 5.1200 pour trains de marchandises que la SNCF retiendra avec améliorations pour son parc unifié avec l'indicatif 150 P.
Une fois à l'OCEM, de Caso se mit au travail et s'orienta vers une 232 à grande surface de grille (5 m'') de façon à bénéficier d'une grande réserve de puissance, le but envisagé étant de réaliser des convois pouvant circuler à 160 voire 180 km/h. De plus, ces machines devaient être carénées pour résoudre au mieux les problèmes de pénétration dans l'air et en accord avec la mode du moment.

La seule incertitude était celle qui existait au niveau du choix du moteur surtout après l'expérience des 4.1200 de banlieue à simple expansion. Aussi de Caso décida-t-il de tenter un essai comparatif et de réaliser une partie des futures 232 à simple expansion, trois cylindres et surchauffe, l'autre en compound à quatre cylindres et surchauffe. Dans les deux cas, la distribution devait être à soupapes à cames rotatives donnant l'indépendance des phases. Il faut noter également que de Caso avait envisagé un moment de réaliser une 232 à triple expansion avec mise en place d'un groupe réducteur Parsons et resurchauffe au groupe basse pression. Le seul réseau ayant tenté la triple expansion était le Delaware & Hudson aux Etats Unis dans les années trente.

Concepteur ou conception: Marc de Caso, né à Montpellier, sorti de l'Ecole Polytechnique fin 1920, entra au Nord l'année suivante. Comme son collègue Chapelon, ils avaient tous deux fait la première guerre mondiale et avaient tendance à se considérer comme des survivants de la boucherie de 1914.

Ceci va expliquer en partie leur comportement ultérieur qui sera tout entier centré sur leur travaux sans recherche particulière des honneurs et sans plan de carrière défini a priori. Chez De Caso, ces éléments étaient corroborés par une grande force de caractère et une liberté de langage totale. De Caso était réputé pour être charmant avec ses inférieurs, distant avec ses égaux et méprisant avec ses supérieurs.
Une fois au Nord, après un premier travail sur les locomotives 230 série P8 livrées au titre de prestations d'armistice en 1919, outre les trois séries de locomotives citées plus haut, de Caso réalisa à partir de 1929 le grand tender de 35 m" qui permettait des parcours sans arrêt de 350 km ainsi que les fameuses voitures rapides Nord. li pouvait ainsi s'enorgueuillir, fait exceptionnel, d'être le concepteur d'un train dans son entier, de la locomotive au fourgon. Après l'épisode de l'OCEM, lors de la création de la SNCF, il rejoignit avec Chapelon la Division des Etudes des Locomotives.

Extension du type :

A l'origine, il avait été décidé de mettre en fabrication quatre 232 à simple expansion trois cylindres et surchauffe et quatre 232 à compound à quatre cylindres et surchauffe. Après qu'il ait été envisagé de les numéroter 232 A et 232 B, elles recevront en fin de compte la numérotation définitive 232 R et 232 S. Le Nord joua de malchance dans son programme à grande vitesse puisque d'une part, les perturbations dues à la création de la SNCF et d'autre part, le déclenchement de la deuxième guerre mondiale firent que les projets de grande vitesse du Nord réintégrèrent les cartons. Par ailleurs, l'usine de Graffenstaden de la SACM qui avait reçu commande des huit 232 ne put livrer, au prix de grandes difficultés, que sept machines en 1940 à savoir quatre 232 S et trois 232 R. C'est la quatrième 232 R non terminée à Graffenstaden qui deviendra la 232 U1 après la guerre mais avec des choix techniques différents et après qu'il ait été envisagé un moment de la doter d'une turbine à vapeur.

Originalité et situation du type par rapport aux créations contemporaines :

Avant d'aborder la 232 U1, il est nécessaire de donner quelques précisions quant aux 232 R et S. Tout d'abord, les essais effectués en ligne, dont certains sur la région Sud-Est en 1941, ont montré que les 232 S compound étaient plus économiques que celles à simple expansion (12% d'économie de charbon). De plus, il est également intéressant de noter que le carénage intégral mais dégageant les roues motrices, dessiné par Marc de Caso, fut fortement influencé par celui retenu par Gresley pour ses Pacific A4 du LNER. Mais de son côté, Gresley n'a jamais caché que le carénage des A4 dérivait de celui appliqué par Bugatti sur ces fameux autorails, les deux hommes ayant des relations professionnelles suivies. Ainsi donc, de l'automobile Bugatti "tank" de 1923 dont la forme va inspirer à Bugatti celle de ses autorails, à la Mallard, détentrice du record du monde de la vitesse en traction vapeur en passant par les 232 de de Caso, c'est tout un pan, non seulement de l'histoire des techniques, mais aussi de celle des hommes et des relations qu'ils entretiennent, qui nous est offert. Une fois la tourmente de la guerre passée, dont de Caso, comme son collègue Chapelon, eut beaucoup à souffrir, il décida de reprendre la quatrième 232 R restée inachevée mais avec des idées et des principes constructifs complètement nouveaux. Toutefois, une page était tournée; la vapeur n'avait plus les faveurs des puissants et de Caso put aboutir non sans mal en confiant la construction de sa locomotive à Corpet-Louvet & Cie à la Courneuve, constructeur plutôt spécialisé dans la production de petites locomotives pour voie étroite. La nouvelle machine de de Caso, baptisée 232 U1, effectua ses premiers tours de roues en septembre 1949. Outre un carénage différent sur lequel nous reviendrons, la 232 U1 matérialise un certain nombre d'idées techniques originales et efficaces qui font d'elle la locomotive à vapeur la plus évoluée ayant existé en France. La 232 U1 est une compound à quatre cylindres à surchauffe et à distribution par tiroirs cylindriques.

- Chaudière : par rapport aux 232 R et S, les éléments surchauffeurs Schmidt ont été remplacés par des éléments Houlet. Ils ont été positionnés de façon à éviter l'accumulation des escarbilles et faciliter leur nettoyage. A cet effet, la partie terminale de chaque élément est orienté de telle manière que les tubes d'entrée et de sortie soient dans un plan vertical. La grille de 5 m' est alimentée comme pour les 232 R et S par un stoker, le timbre demeurant à 20 kg/cm'.

- Châssis et train de roues : le châssis a été modifié pour munir les trois essieux moteurs, de boîtes à roulements à rouleaux et coins Franklin à rattrapage de jeux automatiques.

- Appareil moteur : les distributions à soupapes ont été remplacées par un mécanisme classique Walschaerts. Le groupe haute pression est constitué d'une pièce de fonderie unique en acier, la boîte à vapeur étant commune aux deux cylindres et alimentée à sa partie supérieure. L'admission s'effectue à la partie centrale du tiroir. Le groupe BP est en à 2 pièces symétriques, en contact dans l'axe du châssis. L'admission s'effectue sur les arêtes extérieurs du tiroir par 2 canaux de forte section en colimaçon formant la partie principale de la boîte à vapeur BP. Le tiroir HP et BP, situés d'un même côté de la locomotive, sont actionnés par une seule coulisse, laquelle assure constamment le même degré de détente dans les cylindres HP et BP. Le rapport des sections de passage est de 2,32 correspondant à une répartition quasiment égale des puissances dans les deux groupes. Conséquence de l'identité de la détente dans les deux groupes, il n'est pas possible d'aller au-delà de 72 à 75 % au démarrage. Aussi, le concepteur a-t-il prévu un système de distribution complémentaire permettant d'obtenir un taux d'admission de 90 % au démarrage pour le groupe BP, établissant dès le départ une pression identique au régime normal de marche soit 18 kg au groupe HP et 5 au groupe BP. Enfin, à l'aide d'un dispositif automatique de communication, la 232 U1, munie d'un servo-moteur de changement de marche à air comprimé, se conduisait exactement comme une locomotive à simple expansion.

- Ergonomie : de Caso a imaginé une cabine de conduite rationnelle et confortable. Elle peut être quasiment fermée et les flancs d'abri disposent de fenêtres coulissantes. A partir des selles revêtues d'un tissu blanc, le mécanicien peut accèder à ses organes de commande tout en conservant la position assise. Pour une meilleure lecture des crans de marche, la règlette de la barre de relevage est positionnée à la verticale. Les fenêtres frontales de l'abri formant un angle par rapport à la verticale sont équipées d'essuie-glaces.

Service effectué :

Sorties à une période peu favorable, les 232 S et R ne purent donner leur pleine mesure qu'une fois la guerre terminée. Les essais sur le Sud-Est, réalisés en octobre 1941 avec la 232 S3, ont pu montrer que la machine était capable de remorquer une charge de 710 tonnes à 120 km/h en développant des puissances de l'ordre de 3150 chevaux en rampe de 6 pour mille correspondant à une puissance indiquée de 4500 chevaux. Toutes les 232 R et S ainsi que la 232 U1 ont été affectées au dépôt de la Chapelle où elles ont assuré avec succès les rapides sur Lille et la ligne de Belgique concurremment avec les Pacifie chapelon. Bien entendu, toutes ses marches de trains rapides normaux ne représentaient aucunement les performances limites dont elles étaient capables. Les 232 R et S connurent une carrière relativement brêve puisqu'elles furent retirées du service avec la 232 U1 le 30 septembre 1961, peu après l'électrification des grandes lignes du Nord. Dans l'intervalle, en 1954, les distributions à soupapes à cames rotatives des 232 S ont été remplacées par des distributions à cames oscillantes identiques à celles des Pacifie Chapelon plus performantes. Les 232 R et S subsistantes (deux 232 R avaient été réformées en 1958) et la U1 ont été dirigées sur le dépôt d'Hirson fin septembre 1961 pour y être démolies. C'est alors qu'intervint l'heureuse décision de la conservation de la 232 U1.

La 232 U1 est attelée au tender unifié à bogies 36 B6. Ce type de tender était attelé indifféremment aux 232 R et S.
Le fait que la 232 U1 disposait d'une distribution complémentaire et qu'elle pouvait être conduite comme une locomotive à simple expansion autorisait quatre combinaisons possibles pour le démarrage : à marche séparée avec ou sans distribution complémentaire, en compound avec ou sans distribution complémentaire. Les 232 R et S étaient pourvues d'un échappement variable Lemaitre Nord et la 232 U1 d'un échappement variable double à croisillons.

Raisons de la conservation :

Il avait été prévu à l'origine de conserver la 232 S1 pour le futur Musée du Chemin de Fer. Pour heureuse qu'elle soit, cette décision ne fit cependant pas l'unanimité et c'est grâce à une intervention décisive de Daniel Caire, président de l'AF AC auprès de Camille Martin, directeur du service du matériel et de la traction, que la 232 U1 put échapper aux chalumeaux des démolisseurs à Hirson. Cette décision était pleine de bon sens dans la mesure où la 232 U1 représentait, davantage que la 232 S1, l'aboutissement final de la traction vapeur en France. Enfin sauvée, la 232 U1 fut dirigée sur Chalon-sur-Saone, garage provisoire des machines destinées au futur musée. Elle a été restaurée en 1976 par le dépôt de Thouars. Une fois la machine restaurée, le 22 mai Marc De Caso accompagné de diverses personnalités se rendit officiellement à Thouars pour y "réceptionner" sa machine renaissante. C'est Michel Doerr, directeur conservateur du Musée du Chemin de Fer, qui a proposé l'étude de l'animation "artificielle" de la 232 U1. Après étude, ce fut la vitesse de rotation de 17 tours/mn qui parut le plus adéquate pour permettre à l'observateur de jouir de la majesté du mécanisme en mouvement sans qu'il donne l'impression de "s'emballer" (effet stroboscopique tel qu'on peut l'apprécier par exemple sur les roues à raies des vieilles automobiles dans les films muets).

Anecdotes :

Chez Marc De Caso, les préoccupations esthétiques ont toujours joué un rôle déterminant au même titre que celles d'ordre mécanique. Si le problème technique a bien été résolu, la machine doit être belle alors que l'inverse n'est pas forcément vrai.

A la question du souci de l'esthétique chez lui, de Caso avait répondu à La Vie du Rail en 1976 :
"J'ai toujours considéré l'habillage extérieur de mes locomotives comme un élément non négligeable. En ce qui concerne les éléments brillants qui décorent le carénage de la 232 U1, je les considère un peu comme un symbole: la courbe est un oiseau, un cygne qui étend ses ailes. La bande horizontale, c'est un lac ... l'oiseau chante et meurt, c'est le chant du cygne.".

Surnommée "la Divine", la 232 U1 a été classée en juillet 1989 par la révue La Vie du Rail après sondage auprès de ses lecteurs comme la plus belles des locomotives à vapeur ayant existé.

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